Jay McINERNEY

Présentation par Jacques-Pierre AMETTE

De l'autre côté de l'Atlantique, Jay McINERNEY est un auteur culte. Cet écrivain de 40 ans, né à Hartford (Connecticut), s'est fait remarquer en 1985 par Journal d'un oiseau de nuit (Bright Lights, Big City), vendu à plus d'un million d'exemplaires. Le héros passe ses journées à vérifier des épreuves dans un magazine : la nuit, il plonge dans la drogue, le sexe, essaie d'écrire des débuts de romans ratés et perd sa femme. Personne ne sait alors si le livre est profond, mais il a un ton, une vitesse, un regard éperdu et tremblé. Tout file dans ce livre, en notations brèves, séches, avec une vraisemblance de dialogues et cette petite touche de désastre qui marque les bons écrivains malades de leur adolescence. Hollywwod achète les droits du livre, l'auteur écrit trois adaptations, puis abandonne.

Loin d'en rester là, celui qu'on appelle "l'effronté", "l'impertinent" dans la presse, se fait remarquer par des facéries. Il écrit, par exemple, dans la belle revue Esquire, une série de portraits à l'acide des critiques littéraires qui n'ont pas aimé son livre. Il est capable de s'habiller en tortue Ninja pour passer à la télévision. En jeune best-seller décontracté, il assure ses services après-vente avec un acharnement de yuppie. Il veut séduire toute l'Amérique. Mais, derrière ce talentueux jeune homme chic, il y a un auteur, un vrai. Curieusement, c'est Raymond Carver qui l'a sorti de la drogue, de l'alcool, des nuits blanches et des idées noires. Il lui a appris à construire une scène, à donner des tension à ses personnages. Ses romans sonnent la charge d'une nouvelle génération. Il est un symbole de jeunes gens hyperdoués qui s'appellent Susan Minot ou Bret Easton Ellis. Ellis et McInerney partagent le même univers : un monde superficiel (comme celui de la mode) fait de drogue, d'alcool et de nuits blanches. Hantés par la fin d'une époque facile qui coïncidait avec leur enfance, ils savent qu'ils entrent dans des années noires et veulent s'amuser une dernière fois, faire la dernière fête avant la grande solderie sociale, avant la grande démolition des illusions. Ce sont les nouveaux enfants de cette fin de siècle.

 

Ses livres sont : Bright Lights, Big City (1984) - Ransom (1988) - Toute ma vie (1989) - Trente et des poussières (1993) - Le dernier des Savage (1996) - Glamour Attitude (1998)

 

Bright Lights, Big City

New-York, années 80. Un garçon de 24 ans tente d'oublier son chagrin et sa déception (sa femme vient de le quitter) à l'aide de diverses méthodes éprouvées :l'échec professionnel, la dope, les boîtes. Et la littérature. Entre un défilé de haute couture, une fête ratée et une orgie de coke dans les toilettes de l'Odéon, il lui reste peu de temps pour rassembler ses esprits. Heureusement, le Destin veille au grain...

 

Ransom

Kyoto, dans les années de "l'après-Vietnam". Un jeune américain, Christopher Ransom, partage son temps entre l'apprentissage du karaté et l'enseignement de l'anglais. Il passe ses nuits au Buffalo Rome, un bar où se retrouve la faune habituelle à ce genre d'endroit : paumés, routards à la dérive et membres de la pègre locale à l'affût d'un coup. C'est là que son destin finit par le rattraper. Car Ransom a commis une faute. Depuis, rongé par la culpabilité, il attend le signe qui lui fera comprendre que le moment est venu de payer. Le prix est très élevé...

 

Toute ma vie

A vingt ans, Alison mène l'existence d'une "fille à papa" -à ceci près qu'elle ne voit jamais son père, un businessman surmené et amateur de fruits verts. Cours de théâtre, fêtes, dragues, la liste des activités auxquelles se livre Alison tiendrait sur une carte de crédit. Pourtant le cynisme d'Alison n'est que le masque d'une fragilité extrême. Et ces confessions d'une enfant du siècle, égarée dans la nuit new-yorkaise, reflètent les multiples tentations qui la guettent. Parce qu'elle se refuse à confondre ligne de vie et ligne de coke, à mélanger le sexe et les affaires de coeur et à prendre l'indifférence pour le début de la sagesse, Alison risque le pire : la solitude, quand la neige tombe sans fin dans une blancheur d'hôpital.

 

Trente ans et des poussières

C'était à Manhattan, dans les années 80. Corrine était courtière en Bourse; Russell éditeur. Ils avaient trente ans et des poussières. Leurs amis les trouvaient beaux et spirituels. Mais... Mais Corrine a voulu des enfants et Russell n'était pas prêt. Jeff s'est remis à prendre de la dope, Trina Cox est arrivée, et soudain, tout s'est mis à déraper. Ce n'est pas grave, ont-ils pensé. Juste une petite erreur de script. Ils n'avaient oublié qu'une seule chose : dans la vie, on ne tourne pas une deuxième fois les scènes ratées. Le 18 octobre 1987, les golden boys se jetaient du haut des immeubles, à Wall Street.

Présentation du livre par Jacques-Pierre AMETTE

Trente et des poussières a un charme particulier pour décrire le monde intello-branché de Manhattan sous les années Reagan. Le livre raconte l'ascencion d'un couple dans le monde de l'édition. L'auteur sait de quoi il parle. Car l'édition, aux Etats-Unis (mais cela vient aussi, chez nous), est un mélange d'empires rachetés par de sauvages OPA, une annexe de Wall Street, où les directeurs littéraires sont obligés, parfois, de se comporter en carnassiers d'affaires. L'originalité du livre est de placer au milieu de ces intrigues multiples un couple délicieux au charme byronien, au romantisme tendre : Russell et Corrine. Lui est un Julien Sorel de l'Arkansas, qui veut passionnément être admis dans le paradis de l'édition pour y régner. Il s'empêtre dans ses ambitions contradictoires et pense, comme Fitzgerald, que les riches sont différents. Il aura beaucoup de mal à garder une petite particule d'âme. Dans ce genre d'histoire, c'est le coeur qui lâche... Elle, Corrine, travaille parmi les golden boys. Mais, derrière son ordinateur et ses courbes analytiques du Dow Jones, elle semble chaste, orpheline, transférant vers l'orgueil de classe ce que sa chair ne fait pas. Cela lui donne une sorte de distance très humaine. Il y a aussi l'éternelle bonne copine, Trina Cox, qui couchera avec Russell pendant la foire de Francfort, et le vieux copain, enfant perdu d'une génération trop dorée, qui court d'une cure de désintoxication à l'autre. Il mourra dans l'envers du paradis, avec un atroce lyrisme souriant.

Tout le charme du livre tient dans la fragilité des personnages, leurs fêlures, leur innocence brisée, leurs subites bouffées de tendresse, leur lucidité ironique, et une manière de se dédoubler pour mieux voir que leur ascension sociale est le deuil de leur jeunesse. Le plus réussi du livre? Les glissements nocturnes de ces personnages dans un Manhattan qui semble filmé par Woody Allen. Russell et Corrine sont encore des enfants qui jouent avec les téléphones sans fil, les sentiments des autres et un argent qu'ils n'ont pas. On leur pardonne beaucoup parce que l'auteur les aime et nous fait sentir leur fraîcheur, leur chasteté radieuse, leur mélancolie de jour de neige. Ils croient à l'avenir du monde parce qu'ils boivent des cocktails au bar du Plaza... Enfin, sans que le livre soit un grand panorama du New-York des années 80, il est assez malin pour bien nous restituer le ton de ces "années folles" qui semblent, avec le mini-krach boursier d'octobre 1987, nous donner une nouvelle version des "années Zelda". L'argent, l'alcool, la vie à crédit et le tapage nocturne, tout contribue à créer l'illusion que Scott, Zelda, Hemingway font la bringue une dernière fois grâce à un jeune homme surdoué qui les a fort bien lus. En tout cas, Jay McInerney a écrit un grand roman, drôle, sensible, vrai, plein de charme rapide, de gros chagrins, parlé comme on parle, senti comme on sent aujourd'hui. Et qui inscrit une fois de plus New-York au coeur des choses, puisqu'on y trouve les chemises de chez Brooks Brothers, les films de Woody Allen et les romans d'une nouvelle génération perdue.

 

Le dernier des Savage

Will Savage est un personnage plus grand que nature. Sa biographie est un roman. Rebelle sudiste, milliardaire hippie, ami des Black Panthers, il traverse les années 70 comme un météore, laissant dans son sillage des amours fracassées, des espoirs déçus, des amitiés fanatiques. Son existence tient à la fois du soap opera et de la tragédie grecque. Patrick Keane, son confident calme et introverti, est aussi son mémorialiste et nous entraîne des juke-joints du delta du Mississippi aux scènes de guerre civile qui marquent la décennie, dans une Amérique où s'affrontent l'Ancien et le Nouveau, la justice et la liberté, le sens de l'honneur et la tentation de la trahison.

 

Glamour Attitude

Sexe, Pouvoir, Argent, Célébrité sont les quatre commandements de la religion des années 90. Elle a son Vatican -New-York-, ses grandes prêtresses -publicistes et rédactrices en chef-, et surtout ses idoles : les top-models, traînant dans leur sillage une suite composée de courtisans, d'agents, d'attachées de presse, de gardes du corps, d'avocats, etc. Connor McKnight observe cette faune avec un mélange de perplexité, de détachement et de mépris. Rédacteur "people" dans un magazine féminin et fiancé d'une idole, il se veut différent et rêve sa vie. En apparence, rien ne le distingue des autres, sinon une certaine aptitude à souffrir et l'aisance que confèrent les études supérieures. En réalité, son intelligence, sa gentillesse et son absence totale de sens pratique font de lui un déviant : il n'a en effet rien à vendre. Connor survivra. On ne peut en dire autant de son âme, ni de son désir de devenir écrivain. Dans Trente ans et des poussières, McInerney se penchait sur le sort douloureux des golden boys des années 80. Les personnages de Glamour Attitude sont moins innocents. Ici, tout est faux : les sentiments sont truqués, les réputations usurpées, les visages liftés, les corps siliconés. Parce qu'il en connaît tous les détours, Jay McInerney se fait le chroniqueur de ce monde dont il dénonce les tics et le toc, avec une sorte de jubilation féroce : Glamour Attitude est une comédie new-yorkaise étincelante, sophistiquée, quelque part entre Truman Capote et Woody Allen.

 

Retrouvez ici les couvertures américaines de ses livres

 

Il n'existe sur le net aucun site officiel sur Jay McInerney. Il ne reste plus qu'à réparer cet oubli : internautes, au travail !