De
l'autre côté de l'Atlantique, Jay McINERNEY est
un auteur culte. Cet écrivain de 40 ans, né à
Hartford (Connecticut), s'est fait remarquer en 1985 par Journal
d'un oiseau de nuit (Bright Lights, Big City), vendu
à plus d'un million d'exemplaires. Le héros passe
ses journées à vérifier des épreuves
dans un magazine : la nuit, il plonge dans la drogue, le sexe,
essaie d'écrire des débuts de romans ratés
et perd sa femme. Personne ne sait alors si le livre est profond,
mais il a un ton, une vitesse, un regard éperdu et tremblé.
Tout file dans ce livre, en notations brèves, séches,
avec une vraisemblance de dialogues et cette petite touche de
désastre qui marque les bons écrivains malades
de leur adolescence. Hollywwod achète les droits du livre,
l'auteur écrit trois adaptations, puis abandonne.
Loin d'en rester là, celui qu'on appelle
"l'effronté", "l'impertinent" dans
la presse, se fait remarquer par des facéries. Il écrit,
par exemple, dans la belle revue Esquire, une série
de portraits à l'acide des critiques littéraires
qui n'ont pas aimé son livre. Il est capable de s'habiller
en tortue Ninja pour passer à la télévision.
En jeune best-seller décontracté, il assure ses
services après-vente avec un acharnement de yuppie. Il
veut séduire toute l'Amérique. Mais, derrière
ce talentueux jeune homme chic, il y a un auteur, un vrai. Curieusement,
c'est Raymond Carver qui l'a sorti de la drogue, de l'alcool,
des nuits blanches et des idées noires. Il lui a appris
à construire une scène, à donner des tension
à ses personnages. Ses romans sonnent la charge d'une
nouvelle génération. Il est un symbole de jeunes
gens hyperdoués qui s'appellent Susan Minot ou Bret
Easton Ellis.
Ellis
et McInerney partagent le même univers : un monde superficiel
(comme celui de la mode) fait de drogue, d'alcool et de nuits
blanches. Hantés par la fin d'une époque facile
qui coïncidait avec leur enfance, ils savent qu'ils entrent
dans des années noires et veulent s'amuser une dernière
fois, faire la dernière fête avant la grande solderie
sociale, avant la grande démolition des illusions. Ce
sont les nouveaux enfants de cette fin de siècle.
A vingt ans, Alison mène l'existence
d'une "fille à papa" -à ceci près
qu'elle ne voit jamais son père, un businessman surmené
et amateur de fruits verts. Cours de théâtre, fêtes,
dragues, la liste des activités auxquelles se livre Alison
tiendrait sur une carte de crédit. Pourtant le cynisme
d'Alison n'est que le masque d'une fragilité extrême.
Et ces confessions d'une enfant du siècle, égarée
dans la nuit new-yorkaise, reflètent les multiples tentations
qui la guettent. Parce qu'elle se refuse à confondre ligne
de vie et ligne de coke, à mélanger le sexe et
les affaires de coeur et à prendre l'indifférence
pour le début de la sagesse, Alison risque le pire : la
solitude, quand la neige tombe sans fin dans une blancheur d'hôpital.
Trente
ans et des poussières
C'était à Manhattan, dans les
années 80. Corrine était courtière en Bourse;
Russell éditeur. Ils avaient trente ans et des poussières.
Leurs amis les trouvaient beaux et spirituels. Mais... Mais Corrine
a voulu des enfants et Russell n'était pas prêt.
Jeff s'est remis à prendre de la dope, Trina Cox est arrivée,
et soudain, tout s'est mis à déraper. Ce n'est
pas grave, ont-ils pensé. Juste une petite erreur de script.
Ils n'avaient oublié qu'une seule chose : dans la vie,
on ne tourne pas une deuxième fois les scènes ratées.
Le 18 octobre 1987, les golden boys se jetaient du haut des immeubles,
à Wall Street.
Présentation
du livre par Jacques-Pierre AMETTE
Trente et des poussières a un charme particulier
pour décrire le monde intello-branché de Manhattan
sous les années Reagan. Le livre raconte l'ascencion d'un
couple dans le monde de l'édition. L'auteur sait de quoi
il parle. Car l'édition, aux Etats-Unis (mais cela vient
aussi, chez nous), est un mélange d'empires rachetés
par de sauvages OPA, une annexe de Wall Street, où les
directeurs littéraires sont obligés, parfois, de
se comporter en carnassiers d'affaires. L'originalité
du livre est de placer au milieu de ces intrigues multiples un
couple délicieux au charme byronien, au romantisme tendre
: Russell et Corrine. Lui est un Julien Sorel de l'Arkansas,
qui veut passionnément être admis dans le paradis
de l'édition pour y régner. Il s'empêtre
dans ses ambitions contradictoires et pense, comme Fitzgerald,
que les riches sont différents. Il aura beaucoup de mal
à garder une petite particule d'âme. Dans ce genre
d'histoire, c'est le coeur qui lâche... Elle, Corrine,
travaille parmi les golden boys. Mais, derrière son ordinateur
et ses courbes analytiques du Dow Jones, elle semble chaste,
orpheline, transférant vers l'orgueil de classe ce que
sa chair ne fait pas. Cela lui donne une sorte de distance très
humaine. Il y a aussi l'éternelle bonne copine, Trina
Cox, qui couchera avec Russell pendant la foire de Francfort,
et le vieux copain, enfant perdu d'une génération
trop dorée, qui court d'une cure de désintoxication
à l'autre. Il mourra dans l'envers du paradis, avec un
atroce lyrisme souriant.
Tout le charme du livre tient dans la fragilité
des personnages, leurs fêlures, leur innocence brisée,
leurs subites bouffées de tendresse, leur lucidité
ironique, et une manière de se dédoubler pour mieux
voir que leur ascension sociale est le deuil de leur jeunesse.
Le plus réussi du livre? Les glissements nocturnes de
ces personnages dans un Manhattan qui semble filmé par
Woody Allen. Russell et Corrine sont encore des enfants qui jouent
avec les téléphones sans fil, les sentiments des
autres et un argent qu'ils n'ont pas. On leur pardonne beaucoup
parce que l'auteur les aime et nous fait sentir leur fraîcheur,
leur chasteté radieuse, leur mélancolie de jour
de neige. Ils croient à l'avenir du monde parce qu'ils
boivent des cocktails au bar du Plaza... Enfin, sans que le livre
soit un grand panorama du New-York des années 80, il est
assez malin pour bien nous restituer le ton de ces "années
folles" qui semblent, avec le mini-krach boursier d'octobre
1987, nous donner une nouvelle version des "années
Zelda". L'argent, l'alcool, la vie à crédit
et le tapage nocturne, tout contribue à créer l'illusion
que Scott, Zelda, Hemingway font la bringue une dernière
fois grâce à un jeune homme surdoué qui les
a fort bien lus. En tout cas, Jay McInerney a écrit un
grand roman, drôle, sensible, vrai, plein de charme rapide,
de gros chagrins, parlé comme on parle, senti comme on
sent aujourd'hui. Et qui inscrit une fois de plus New-York au
coeur des choses, puisqu'on y trouve les chemises de chez Brooks
Brothers, les films de Woody Allen et les romans d'une nouvelle
génération perdue.
Le
dernier des Savage

Will Savage est un
personnage plus grand que nature. Sa biographie est un roman.
Rebelle sudiste, milliardaire hippie, ami des Black Panthers,
il traverse les années 70 comme un météore,
laissant dans son sillage des amours fracassées, des espoirs
déçus, des amitiés fanatiques. Son existence
tient à la fois du soap opera et de la tragédie
grecque. Patrick Keane, son confident calme et introverti, est
aussi son mémorialiste et nous entraîne des juke-joints
du delta du Mississippi aux scènes de guerre civile qui
marquent la décennie, dans une Amérique où
s'affrontent l'Ancien et le Nouveau, la justice et la liberté,
le sens de l'honneur et la tentation de la trahison.
Glamour
Attitude
Sexe, Pouvoir, Argent, Célébrité
sont les quatre commandements de la religion des années
90. Elle a son Vatican -New-York-, ses grandes prêtresses
-publicistes et rédactrices en chef-, et surtout ses idoles
: les top-models, traînant dans leur sillage une suite
composée de courtisans, d'agents, d'attachées de
presse, de gardes du corps, d'avocats, etc. Connor McKnight observe
cette faune avec un mélange de perplexité, de détachement
et de mépris. Rédacteur "people" dans
un magazine féminin et fiancé d'une idole, il se
veut différent et rêve sa vie. En apparence, rien
ne le distingue des autres, sinon une certaine aptitude à
souffrir et l'aisance que confèrent les études
supérieures. En réalité, son intelligence,
sa gentillesse et son absence totale de sens pratique font de
lui un déviant : il n'a en effet rien à vendre.
Connor survivra. On ne peut en dire autant de son âme,
ni de son désir de devenir écrivain. Dans
Trente ans et des poussières, McInerney se penchait
sur le sort douloureux des golden boys des années 80.
Les personnages de Glamour Attitude sont moins
innocents. Ici, tout est faux : les sentiments sont truqués,
les réputations usurpées, les visages liftés,
les corps siliconés. Parce qu'il en connaît tous
les détours, Jay McInerney se fait le chroniqueur de ce
monde dont il dénonce les tics et le toc, avec une sorte
de jubilation féroce : Glamour Attitude
est une comédie new-yorkaise étincelante, sophistiquée,
quelque part entre Truman Capote et Woody Allen.
Retrouvez ici les couvertures
américaines de ses livres
Il
n'existe sur le net aucun site officiel sur Jay McInerney. Il
ne reste plus qu'à réparer cet oubli : internautes,
au travail !
